Si nous nous sommes associés, le physicien et le philosophe, pour écrire sur les "idées noires" de la physique, c'est que les choses que la physique qualifie de "noires" sont intrigantes : le ciel noir, le corps noir, le trou noir, la matière noire, l'énergie noire... Que se cache-t-il derrière ces expressions... obscures ? Ce ne sont pas seulement de curieuses appellations, ce sont des idées qui ont joué et jouent encore, parfois, un rôle crucial en physique, comme l'expose l'astrophysicien Roland Lehoucq. En outre, il ne suffit pas d'analyser la manière dont la science change le sens de l'adjectif "noir", il faut aussi exposer comment cet adjectif "colore" l'expression scientifique en retour. C'est pourquoi le philosophe des sciences Vincent Bontems analyse ce que l'adjectif charrie subrepticement de l'imaginaire des ténèbres jusque dans le champ scientifique. L'idée noire devient alors une image noire qui est le motif d'une rêverie savoureuse. Nous expliciterons donc à chaque fois la dénotation de l'adjectif "noir", ce qu'il signifie vraiment pour un physicien, mais aussi sa connotation, c'est-à-dire ce qu'il évoque métaphoriquement, parfois inconsciemment. Couplant l'analyse épistémologique des idées noires à une psychanalyse des images noires, nous suivons ainsi l'exemple du philosophe Gaston Bachelard, qui étudiait déjà en parallèle l'évolution historique de théories de la propagation thermique et les associations d'images lors de divagations sur le feu, la science et l'imaginaire.