La destruction de Gaza est-elle uniquement une riposte à l’attaque du 7 octobre 2023, ou est-elle une étape de plus dans un long processus de dépossession et d’éradication ? Est-il antisémite de dire que ce massacre a pris des traits génocidaires ? Pour répondre à ces questions, il faut préciser le sens des mots «antisémitisme», «sionisme», «génocide» et dresser la généalogie de ces notions en s’affranchissant du récit conventionnel et essentiellement orientaliste qui fait d’Israël un îlot démocratique dans un océan obscurantiste, et du Hamas une horde de barbares assoiffés de sang.
Les crimes perpétrés par le Hamas le 7 octobre sont certes indéfendables, mais on ne peut pour autant les qualifier de «pire pogrom de l’histoire après l’Holocauste». Les inscrire dans le récit d’un antisémitisme millénaire sert à légitimer la réponse israélienne en occultant leur véritable cause : des décennies de colonisation et seize ans de complète ségrégation de la bande de Gaza. Cet essai propose de penser historiquement la crise actuelle, en refusant de cautionner une guerre génocidaire au nom de la lutte contre l’antisémitisme. Car si l’occupation de Gaza se terminait par une seconde Nakba, la légitimité d’Israël en sortirait définitivement compromise. Ni les armes américaines, ni les médias occidentaux, ni la mémoire détournée et dénaturée de la Shoah ne pourraient plus la racheter.
Enzo Traverso est historien. Après avoir enseigné en France, il est aujourd’hui professeur à l’université Cornell (Ithaca, New York). Il a publié plusieurs ouvrages, traduits en une quinzaine de langues, parmi lesquels La violence nazie (La Fabrique, 2002), À feu et à sang (Stock, 2007) et Révolution (La Découverte, 2022). Il est l’auteur, chez Lux, de Passés singuliers (2020).