On nous l'annonce comme imminente, et inéluctable. Une catastrophe lente à venir. On nous l'annonce depuis si longtemps, mais est-ce pour nous alerter ou pour nous habituer ? Je n'avais pas vingt ans quand on commença à parler de « la montée du Front national ». C'était lent et puissant, comme une marée. Cela n'a jamais cessé depuis, et j'aurai plus de soixante ans en 2027 quand... mais quand quoi, au fond ? C'est qu'entre-temps, je suis devenu historien, et j'ai appris qu'on peut craindre, ou espérer, un événement qui, lorsqu'il advient n'est pas le surgissement de l'inconnu mais la poursuite du connu, et que c'est parfois pire. Car l'on se rend compte alors, mais trop tard, qu'à force de l'attendre, on n'a pas compris qu'il était déjà advenu.« Nous en sommes là. Le temps est aujourd'hui si lourd qu'il oblige l'historien que je suis devenu à tenter de poser un diagnostic sur l'aujourd'hui, non pour prendre position mais, une fois encore, pour prendre date. Car l'expérience de la durée épidémique et la conscience de la crise climatique ont tout changé à la notion même de danger imminent. Sans cesse retardé, il est devenu notre actualité. Et nous ne pouvons donc plus nous contenter d'assister, impuissant, au désespérant spectacle d'un compte-à-rebours. Il est encore temps de sortir de la nasse, mais il convient pour cela de se saisir du temps qui reste. » P. B