Résumé
Ce vingt et unième numéro de la Revue du Crieur consacre un dossier d'ouverture à la guerre que mène la Russie en Ukraine depuis la fin février 2022. Pour tenter de mieux comprendre ce séisme qui bouleverse l'Europe et le monde, nous avons choisi de nous pencher sur ses angles morts, sur les pistes moins empruntées qui, pourtant, témoignent de la réalité quotidienne ukrainienne et participent à expliquer le déclenchement de ce conflit assourdissant.François Bonnet propose ainsi d'aller au-delà du décryptage d'une idéologie poutinienne qui serait mue par une volonté de relancer la guerre froide et l'opposition entre deux blocs, entre deux systèmes moraux et civilisationnels. Bonnet met lui l'accent sur le système mafieux dont s'est entouré Poutine et voit dans la guerre l'ultime moyen dont dispose le Kremlin pour sécuriser son avenir et préparer sa succession. La photographe Adrienne Surprenant nous rappelle pour sa part qu'une guerre, c'est d'abord une longue série de gestes : courir, enterrer, rechercher, fermer un volet, ouvrir la porte d'un bunker, cajoler, réconforter, pleurer, jouer, sauter, lever le poing... Cette série offre ainsi un aperçu bouleversant de la vie qui continue, malgré tout, en Ukraine. Enfin, Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin se penchent sur la complexe mosaïque religieuse que constituent les pays de l'ex-URSS et explorent les tensions qui agitent le monde orthodoxe, où les Églises font plus souvent figure de fauteuses de guerre que d'ouvrières de la paix. À propos des grands enjeux géopolitiques actuels, les lecteurs et lectrices découvriront également de quelle manière, au Brésil, les féministes, les personnes LGBT+, les Noir·es, les autochtones s'organisent afin d'inventer de nouvelles manières de faire de la politique, plus collectivement, plus démocratiquement, dans l'espoir de faire tomber Bolsonaro lors des importantes élections qui se déroulent en octobre 2022 dans tout le paysLa revue poursuit par ailleurs ses enquêtes culturelles, avec un grand article de Sihame Assbague sur la fabrique - et les biais - de la plus grande encyclopédie du monde : Wikipédia. Alors que les mots d'ordre du géant numérique sont la transparence et la neutralité, des contributeurs·trices partout dans le monde semblent s'organiser pour lancer l'assaut contre les pages consacrées aux personnalités et organisations féministes comme antiracistes. Mais pour comprendre ces attaques, il faut plonger dans les rouages techniques du site et mener l'enquête sur ceux et celles qui rédigent les contenusEt ce n'est pas tout : ce nouveau numéro laisse également de l'espace à des réflexions passionnantes sur la géo-ingénierie (est-ce le progrès technologique qui nous sauvera du désastre climatique provoqué par... le « progrès » technologique ?), sur le rôle de la fiction dans l'éveil des consciences face à la violence et à l'injustice qui s'expriment dans les parcours de migration, ou encore sur les liens que peuvent entretenir les personnes queers avec la nature, alors qu'elles sont souvent accusées de soutenir un progrès technologique sans limite et sans éthique. Enfin, un texte important soulève une question taboue : les conséquences matérielles des violences sexuelles pour les victimes, ou comment le viol a des effets en cascade sur leur vie quotidienne, leur travail, leur logement, leurs économies...