« Du fil, du sang et des mots. Il n'en faut pas plus pour faire disparaître le corps d'une fille. La dématérialiser d'un coup, un seul. Net et sec. Une entaille. Et le liquide qui coule, tout naturellement, dans une odeur de femmes et de secret.Nous étions trois. Ma mère, Dibiza et moi. Plus un métier à tisser. L'armature en bois ne comportait que les fils de trame tendus à l'horizontale. Les fils de chaîne avaient été sectionnés. J'étais debout, pieds nus, la robe relevée au-dessus du genou. Dibiza s'est baissée et a planté un bout tranchant au niveau de la rotule. Une lame à raser ? Un couteau ? Une aiguille ? Je ne me souviens que du reflet du métal. Il passe aujourd'hui encore devant mes yeux comme une ombreC'est à ce moment-là qu'est intervenue ma mère. Elle a glissé des graines de raisins secs dans la main de Dibiza. Sept. La matrone les a comptées à voix haute, minutieusement- Vas-y, dit-elle en relevant la tête et me poussant vers le métier à tisser. Tu vas passer au-dessus de la trameJe me suis avancée- La jambe droite d'abord. Puis la gauche. Ensuite, tu reviens au point de départ. Et tu recommencesJ'ai levé la jambe droite- Veille à effleurer le fil de ton piedAprès chaque aller et retour, Dibiza s'est penchée sur l'entaille, a badigeonné de sang le raisin sec et me l'a tendu- Ouvre la bouche. Avale-moi çaEt elle a psalmodié d'une voix de basse- Par le fil je t'ai cousue ! Ton sang je t'ai fait avaler ! Nul ne pourra plus t'ouvrir ! Ni l'homme ni le fer ! Tu es un mur contre un fil ! Un mur contre un fil ! Sang de ton genou, ferme ton petit trou ! »