Résumé
Ans le plus beau et le plus riche quartier d'Osnabru¨ck, en BasseSaxe, au centre-ville, rue de la Vieille-Synagogue, il y a un espace rasé entre deux élégantes demeures, on passe devant sans les voir. Les Ruines. C'est ici. La réserve de la mémoire et de l'oubli déposée derrière des grillages. Sur le grillage à hauteur de nos yeux quatre panneaux de cuivre poli font le même récit chiffré daté du 9 novembre 1938, panneaux étincelants, tablettes d'une nuit épouvante, qui a pris sa place d'horreur dans la longue et riche chronique de la fameuse ville fondée en 780 par Karl der Große, dit Charlemagne de l'autre côté. Ici on entretient les cendres. Ici tous les royaumes de l'Europe ont signé en 1648 le traité de Westphalie, la fin de cette guerre de trente ans qui a laissé traîner dans les rues des millions de fantômes d'assassinés, ici en 1928 sans perdre un instant notre belle ville est nazie, en 1938 elle a mis le feu à ses juifs, comme hier elle mettait le feu à ses sorcières, ici notre phénix tout de suite après la haine s'est réveillé dévoué à la Paix et l'hospitalité pour une petite éternité. Ruines, élégantes, soignées, bien rangées, êtesvous dedans, êtes-vous dehors, êtes-vous libres ?Derrière le grillage, une haute collection de grosses pierres, des moellons toilettés. Ce sont les os de la Vieille Synagogue (en vérité elle était jeune et belle, dans sa trentième année) qui restent après l'incinération. Os bien rangés. La morte fait son possible pour être aussi bien tenue que ses voisines de la haute. Ce quartier, chambre secrète, coffre d'Osnabru¨ck, je ne l'avais jamais vu. Pas envie, jusqu'à ce jour, d'aller aux ruines. Suivons la rue. On arrive rapidement à la Bockturm, la tour est fraîche comme au temps où on y torturait savamment les prisonniers, elle servait de greffe aux aveux. Prison embaumée. Ma mère aussi, la sage-femme, a été jetée en prison. Mais voilà la surprise : ce n'est pas à Osnabru¨ck qu'elle a accompli ce destin, mais à Alger, dans la célèbre prison de Barberousse, inoubliable théâtre de tant d'exécutions capitales. Finalement il y a toujours une saison en prison dans nos histoires, finalement c'est toujours la prison ou la valise. (H. C.)