Résumé
À rebours des discours convenus de l'antiracisme d'Etat, qui réduisent complaisamment l'oppression raciste à un réflexe de " peur de l'autre ", qui serait à la fois naturel et compréhensible, Pierre Tevanian souligne le caractère social et systémique du racisme français et son enracinement dans notre culture : loin d'être naturel, le racisme est une production culturelle. Et loin d'être une pathologie individuelle, qui ne concernerait que quelques extrémistes, il traverse toute la société, sous des formes plus ou moins distinguées, adaptées à tous les univers sociaux et à toutes les sensibilités politiques. Pierre Tevanian a rencontré et combattu le racisme sous diverses formes, ce qui l'a amené à l'envisager selon trois angles : comme concept, comme percept et comme affect. Le racisme est en effet une réalité complexe et multiforme qui peut être appréhendée à la fois comme une conception du monde, comme une manière de percevoir l'autre, sa présence, son corps, sa parole et comme un choix de vie, une manière d'être affecté et de vivre cette affection. Le racisme est, sur le plan logique et idéologique, une conception particulière de l'égalité et de la différence, une manière d'articuler ensemble ces deux concepts sur un mode particulier : celui de l'opposition radicale. Pour le dire plus simplement, le racisme est sur le plan conceptuel l'incapacité de penser ensemble l'égalité et la différence. Mais le racisme n'est pas que théorique : il se répercute directement dans la pratique en orientant, informant, construisant notre perception du monde extérieur. Il construit en particulier notre perception du corps de l'autre, ou plus précisément la différence entre notre perception des autres et notre perception de certains autres, plus autres que les autres, les racisés. Le racisme est donc une esthétique, au sens où l'entend Jacques Rancière : une certaine manière de sentir – et de ne pas sentir. Enfin, le racisme n'est pas seulement une manière de penser l'altérité et une manière de sentir l'autre : c'est aussi une manière de se sentir et de se penser. S'il y a dans le racisme une part de choix individuel, elle réside moins dans le choix de la cible, construite et mise à disposition par la collectivité, que dans le choix préalable d'un certain mode de vie et donc d'un certain personnage, d'un certain rôle pour soi-même. Pour le dire vite, le racisme est, sur le plan éthique, le choix d'adhérer à un certain rôle et de jouir d'une certaine position sociale : celle du dominant.